Témoin de la Qualité : Isabelle POULIQUEN

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Lundi 27 juin 2022

Isabelle POULIQUEN est Professeur, Vice-présidente déléguée Qualité d’Aix Marseille Université et Vice-présidente Bouches-du-Rhône de l’AFQP PACA pour l’équipe du Master QHSE d’Aix Marseille Université. Elle a accepté de répondre à nos questions sur la Qualité, sa vision, son expérience…

France Qualité : Quels sont pour vous les principales évolutions ou évènements qui ont marqué la Qualité et les démarches de progrès ces quinze dernières années ? 
Les notions de Qualité, démarche Qualité, système Qualité ont considérablement évolué ces trente dernières années, passant du contrôle qualité au management qualité, de systèmes documentaires centrés sur les procédures à des systèmes de management orientés vers la performance durable, s’adaptant aux besoins et aux attentes du client, de l’entreprise, de ses parties prenantes et de la société dans son ensemble. 
Ces changements d’approche sont a minima situés autour de deux questions fondamentales « la Qualité pour quoi ? » et « la Qualité pour qui ? ».
Portés par une prise de conscience de plus en plus collective de l’importance d’inscrire les démarches dans une approche holistique, globale et durable, mais aussi de remettre l’humain au centre des préoccupations, les changements ont touché le fondement même de la notion de Qualité.
La révision 2015 de la norme ISO 9001 a par exemple incité les organisations à positionner leurs démarches Qualité dans une approche stratégique, intégrant vision, valeurs, mission, contexte…, à élargir la prise en compte des parties prenantes, à repositionner la direction comme véritable sponsor de la démarche, à déployer la démarche comme une déclinaison de la politique dans tous les processus de l’organisation, enfin à simplifier le système documentaire pour n’en garder que la partie utile spécifique à chaque organisation. Tout cela était possible sur la base de la version antérieure, mais l’arrivée de cette nouvelle version s’est trouvée en phase avec un changement profond des attentes de chacun.

Parallèlement, les démarches Qualité, synonymes de différenciation et d’excellence, sont devenues un « must have », auquel s’ajoutent des attentes autour de l’énergie, de la qualité au travail, du Développement Durable, de la responsabilité sociétale… les référentiels se sont affinés et se sont adaptés aux particularités des acteurs économiques tout en respectant les préceptes de la Qualité. Les normes et les labels se sont multipliés, offrant à chacun un système opérationnel, performant, regroupant les moyens de parvenir à satisfaire les acteurs internes et externes de tout type d’organisation publique et privée, avec toutefois le risque de perdre en lisibilité.
La définition d’une trame commune des systèmes de management (HLS) marque aussi ce tournant en offrant la possibilité pour toutes les organisations d’intégrer les différents domaines au système Qualité existant. 
Simultanément, la prise de conscience que la performance n’est pas qu’économique et qu’elle doit nécessairement prendre en compte bien d’autres facteurs, tels que le bien-être des employés mais aussi l’impact social et environnemental, a conduit à une autre évolution de la notion de Qualité. Les normes ISO 26000, IWA 26:2017, ont permis de construire le fil rouge de cette nouvelle approche de la performance. On prend en compte d’une part que ce sont les femmes et les hommes qui font la réussite de l’organisation, d’autre part que l’entreprise doit être responsable, notamment en matière de Développement Durable. 
Dans ce cadre, la nouvelle version du modèle EFQM® permet de resituer la notion de Qualité et de démarche de progrès dans une approche beaucoup plus globale. Sa prise en compte des « megatrends » et des objectifs du Développement Durable adoptés en 2015 par l’ONU, en font une révision qui porte un tournant du concept de Qualité.
Aujourd’hui, le « pour quoi » de la Qualité est tourné vers l’obtention d’une performance durable, vers une amélioration continue orientée stratégiquement et prise en charge à chacun des niveaux de l’organisation, tandis que le « pour qui » induit une qualité pour tous ou pour chacun, qui s’adresse non plus simplement au client ou à l’entreprise mais s’élargit à la prise en compte des attentes de l’ensemble des parties prenantes externes et internes et replace l’humain au centre des préoccupations vers une performance durable et partagée. 

Qu’est-ce qui a changé dans votre métier de qualiticien ces quinze dernières années ? 
Garant du respect de la norme, de la traçabilité des actions, de la mise en œuvre des grands principes Qualité et expert des outils afférents, le qualiticien était un expert de la Qualité, un consultant interne qui partageait son savoir avec les pilotes de processus et rendait compte à la direction de l’efficacité du système. Interlocuteur privilégié pour les phases d’évaluation externe, il était quelque part en charge d’établir la confiance en le fait que l’organisation mettait tout en œuvre pour satisfaire ses clients.
Passé de Responsable Qualité à Manager du périmètre le plus transverse qui soit, il doit avant tout transformer les systèmes de management en outils de progrès, et simplifier leur utilisation.
La connaissance de la Qualité et de ses outils était le point focal pour le qualiticien, le manager Qualité doit s’armer pour un périmètre plus large, couvrant la diversité des systèmes de management. Son expertise s’est élargie et concerne l’accompagnement des systèmes de management (vision globale et stratégique des organisations, conception des dispositifs de mesure des performances, capacité d’exploitation des résultats, animation opérationnelle de la démarche). Il doit être force de proposition dans les nouveaux domaines, et apporter son expertise dans tous les projets d’amélioration ou de certification.
Initiateur et animateur de démarches de progrès, il doit mettre en œuvre des savoir-être spécifiques (fédérer, apprendre à apprendre, coopérer, innover, s’adapter…), et mettre en action l’intelligence collective. 
Manager 4.0, il doit s’appuyer sur les outils numériques pour collaborer de façon performante, partager mais aussi recueillir, classer, exploiter et valoriser les données et informations.
Transversal, il doit animer des équipes interdisciplinaires et en être un interlocuteur maîtrisant les concepts et capable de prendre les bonnes décisions à partir des informations qui lui sont partagées, dans des domaines où il n’est pas expert.
Enfin, le manager Qualité participe aux cotés de la direction au développement d’une vision novatrice et à la planification stratégique dans le respect de l’éthique, en maintenant un focus sur l’excellence opérationnelle et les résultats. Grâce à une approche systémique, il intègre l’innovation et propose un cadre de développement durable et le déploiement d’une politique ancrée sur les risques, les pratiques et le contexte. 

Qu’évoque pour vous la Nouvelle Qualité, qui rappelons-le se veut globale, pragmatique, innovante et participative ? 
La Nouvelle Qualité élargit le périmètre de la Qualité en proposant une modélisation, une simplification et un déploiement efficace et concerté des différents systèmes de management dont l’organisation souhaite se munir. Elle place le manager Qualité au centre des organisations, en capacité d’être une ressource pour les différents domaines et une courroie de transmission entre ceux-ci. En optimisant le management des processus, elle permet d’articuler les différentes actions transverses au sein de l’organisation et de donner du sens et de la lisibilité aux activités de chacun. Elle prend en compte les tendances actuelles de la société, les attentes de ses acteurs et conduit les transformations et les simplifications qui permettent d’y répondre.
C’est une démarche de progrès qui propose à la Direction une analyse des risques et, en s’appuyant sur le numérique, agrège des informations fiables pour une prise de décision la plus éclairée possible.

Comment voyez-vous la Qualité dans dix ans ? Quels rêves formulez-vous pour la Qualité ?
Des changements profonds de nos sociétés vont impacter les futurs développements en considérant de nouveaux paradigmes qui vont rendre obsolètes les anciens modèles de développement des organisations. Les frontières sont mouvantes : aujourd’hui le monde du travail s’invite dans nos intimités avec le télétravail, qu’en sera-t-il demain ?
Comment gérer cette évolution dans l’intérêt de tous et de chacun ?
Nos organisations doivent pouvoir compter sur la Qualité pour s’adapter en continu à ces mutations profondes, à ces changements de modèles tout en préservant la plus rare et la plus précieuse des ressources qui reste l’être humain et sa sérénité, son implication.
Dans un tel contexte, dont on voit bien les mutations s’accélérer, mais dont on sait mal anticiper les trajectoires et les possibles, la Qualité doit se situer dans une perspective évolutive et pas uniquement occuper un périmètre plus large, plus ouvert mais toujours limité. 
La Qualité doit, en dehors de tout dogmatisme et de toute notion de territoire et de silos, se constituer en équipes interdisciplinaires et proposer un véritable outil de progrès aux organisations. Elle doit aider l’organisation à prendre pleinement conscience de l’importance de l’humain et de ses aspirations personnelles pour positionner les enjeux généraux vis-à-vis de ces enjeux individuels et conduire le changement. 
Acteurs voire précurseurs du changement, ses managers doivent être en veille permanente sur les outils, les évolutions des organisations afin de détecter les opportunités, de créer les outils pour s’adapter et rester performant avec tous et surtout pour tous.
La Qualité doit en permanence continuer à se poser et à poser les questions fondamentales « la Qualité pour quoi ? » et « la Qualité pour qui ? ».

 

Témoignage extrait de la Revue Echanges n°50
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