Témoin de la Qualité : Xavier QUÉRAT-HÉMENT
Xavier QUÉRAT-HÉMENT est Président d’honneur de Esprit de Service France et Co-Président de France Qualité de 2014 à 2017. Il a accepté de répondre à nos questions sur la Qualité, sa vision, son expérience…
France Qualité : Quels sont pour vous les principales évolutions ou évènements qui ont marqué la Qualité et les démarches de progrès ces quinze dernières années ?
L’évolution principale, à mes yeux, est la sortie d’un corpus très technique (qui reste valable) orienté process, mesures industrielles (Six Sigma), coûts de non-qualité, certification de process, réduction de dysfonctionnements, essentiellement tourné vers le fonctionnement interne de l’organisation, vers une logique d’écosystème, d’une organisation vue de manière plus large, dans toutes ses relations, dans toutes ses dimensions, d’un regard extérieur, celui du client en juge ultime (parfois celui de l’usager, rarement celui du patient).
L’objectif Qualité devient l’optimisation du process, non comme une fin en soi mais pour une satisfaction client maximale. Le regard se déplace, il faut désormais partir de l’attendu client, voire de sa perception (exemple la fiabilité, pas forcement le délai voulu par l’entreprise, la simplification plus que la conformité exigée par la réglementation, etc.).
On est ainsi progressivement arrivé au concept d’expérience client (puis en symétrie à celle du collaborateur qui va la générer), de perception, du anywhere anytime. On a glissé par étape du canal physique au multicanal, puis à l’omnicanal (phygital) avec l’objectif oh combien compliqué de réussir l’expérience à chaque fois. C’est devenu une évidence, plus personne ne songerait à dire autre chose. L’objectif désormais est le sourire du consommateur qui fidélise, qui achète (qualité = développement - pas gagné dans la tête de tous les DFI ! -), qui en parlera autour de lui, qui recommande (chacun peut comparer une expérience). La confiance des clients passe par des engagements, des réalisations comme autant de preuves au quotidien de l’efficacité de la démarche.
Des démarches et des outils puissants ont donc été développés et mis en place pour structurer cette approche nouvelle et innovante, regroupés notamment dans la notion de Design de service. Partir des utilisateurs, et plus précisément de leurs irritants, penser le collectif de l’organisation (tous les maillons de la chaîne sont concernés, pas seulement les acteurs du front office), « imposer » le bottom up, rechercher la transversalité, le bout en bout, la co-construction, viser la confiance des collaborateurs, savoir dire en transparence, savoir reconnaître, remercier, féliciter les acteurs. C’est assurément une évolution profonde, bienvenue, nécessaire. Les démarches Qualité s’en sont imprégnées, y ont apporté leurs particularités (Lean, Toyota, etc.). Les organisations sont montées en gamme, portées par cette exigence du faire au mieux du premier coup.
Un chief customer officer est souvent mis en place (mais son positionnement diffère selon la maturité des organisations) pour incarner ce nouvel enjeu et garantir le bon fonctionnement du système. On lui demande sans cesse de simplifier, de fluidifier, plus d’agilité, plus de coordination (le client voit l’entreprise comme un tout). Pour s’en assurer, il va notamment mettre en place de nouveaux instruments de mesure (satisfaction à chaud, promoter score, customer effort, etc.) dans le tableau de bord aux différents niveaux de l’entreprise et si possible du Comex (même si cela n’est pas toujours facile à faire accepter par le DFI qui préfère spontanément le réaliser).
Un autre critère de maturité est souvent celui du traitement des réclamations considéré non plus comme la dernière roue du carrosse mais comme le regard central de l’organisation, qui exprime mieux que personne les problèmes, les dysfonctionnements, les signaux faibles. Les personnes sont-elles formées, outillées, soutenues pour répondre au plus vite aux questions des clients ? C’est le moment de vérité qu’il faut réussir où chacun va pouvoir juger de l’efficacité, de la réalité de l’engagement de toute l’entreprise.
Cette vision, cette démarche ne peut se déployer au quotidien que si elle est portée au plus haut niveau par le Président, le DG, le Comex ; on parlera d’exemplarité. Cette « Nouvelle Qualité », parce qu’elle est systémique, a obligé à repenser le management dans toute l’entreprise, la manière d’être des managers (avec cette belle notion de servant leadership), la confiance, le collectif, la co-construction, les relations entre services, une écoute véritable, à penser parcours collaborateurs et moments de vérité (management de la performance, difficulté rencontrée, aspirations), être véritablement en soutien, donner les moyens à l’équipe de réussir (formation, outils, présence, reconnaissance, part variable, etc.), à ne plus se comporter en petit chef releveur de compteurs et remplisseur de tableaux de bord.
Comment voyez-vous la Qualité dans dix ans ? Quels rêves formulez-vous pour la Qualité ?
Aujourd’hui heureusement, personne ne conteste la Qualité, mais le concept est devenu vague, chacun y met des choses ou des attentes différentes. Tout devient Qualité, on la voit se noyer au sein de la RSE, portée par les justes enjeux de la planète. Bien souvent, également, la réalité est cachée par des discours communication ronflants (incarnée par la fameuse chaise du client en Comex), des labels et des trophées. Même le chief customer officer lui-même (le nom à la mode du directeur Qualité old school) a été vite remplacé par le chef digital officer, roi du numérique et des datas, englouti sous la règlementation, les enjeux de conformité et de maîtrise des risques. La crise sanitaire a fait revenir les réflexes sur les seuls indicateurs financiers, le court terme, le PCA au moindre cout.
J’espère donc dans les dix ans qui viennent pour la Qualité un retour sur les fondamentaux, un certain recentrage sur ce qui est à sa main, à savoir une discipline technique, professionnelle (formation, méthodes, outils), reconnue. En gardant bien sûr au front la vision fondamentale de vue du client et non du process (qui n’est qu’un moyen), une meilleure définition de son périmètre, de son rôle, les conditions réaffirmées de sa réussite (l’engagement du Comex sur la durée, l’exemplarité des dirigeants, les moyens, etc.).
J’espère l’affirmation (par le Président, les ministères, le MEDEF) que la Qualité est définitivement la condition essentielle de la réindustrialisation du pays, de l’amélioration de la balance commerciale, d’un renouveau de l’agriculture par des produits locaux de qualité, de la fierté d’un pays (y compris dans le tourisme, l’accueil et les services). Que la Qualité est un investissement et non un coût, que la Qualité justifie un prix légèrement plus élevé. Que la Qualité mérite une formation scolaire reconnue et de haut niveau. Il me faut ici saluer le rôle clé de l’association France Qualité qui porte haut ces enjeux.
Il nous faudra donc être collectivement vigilants pour que la Qualité ne redevienne pas une simple fonctionnalité, une FAQ, une boite à outils, mais qu’elle garde véritablement sa juste place, visible et reconnue, au service des clients et des collaborateurs, un vrai positionnement auprès du décideur, parce qu’elle porte une vision, des valeurs, des engagements à tenir.
Qu’elle continue de se déployer dans tous les domaines pour une profonde Réforme de l’Etat (voir à ce sujet les travaux du Cercle de la réforme de l’Etat, de la Fondapol « débureaucratiser par la confiance »), qui ne parle pas que nombre et procédures, mais qui sait écouter ceux qui font, sur le terrain, au quotidien, leur donner les moyens, les mettre en situation de réussir, donner le courage d’oser à tous les zèbres de ces entités, les protéger, encourager la prise de risque, l’innovation, le aller vers.
Qu’elle se déploie également avec force et détermination à l’hôpital et dans tous les champs de la santé (à voir à ce sujet les très intéressants travaux de l’Institut Français de l’Expérience Patient).
Dans les évolutions à souhaiter à mes yeux, il y a aussi le passage du client roi au client responsable. Un client qui prend en compte toutes les dimensions économiques, y compris sur l’environnement, de ses exigences, qui renonce au tout tout de suite. Que la Qualité ne soit pas perception, bad buzz et faux avis consommateurs. Que dans le même esprit, les associations de consommateurs trouvent un réel rôle, juste et équilibré, dans leurs class actions, que continuent de se développer les revues et sites consommateurs qui portent une action militante de défense des consommateurs, dans le respect du droit économique et de la consommation.
La Qualité est d’abord une manière d’être, de rigueur et de respect, une démarche humaine et exigeante, qui valorise le conseil, l’accompagnement, l’écoute, le sens, la bienveillance, le faire, la réalité pour l’amélioration continue au long cours. Elle a donc toute sa place comme critère clé dans le champ en fort développement des entreprises à mission.
Témoignage extrait de la Revue Echanges n°50.
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