Le lean ou comment Radiall a séduit Boeing (L'Usine Nouvelle)

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Mardi 17 décembre 2013

Par une application méthodique du lean et une dizaine d’années de réorganisation, le français Radiall est devenu le fournisseur des connecteurs destinés au 787 de l’avionneur américain.

C’est presque un comble ! Chez Boeing, on peut faire partie des meilleurs fournisseurs sans avoir réussi à lui vendre un seul dollar de produits… La preuve avec Radiall. « Nous avons, par trois fois, en 2004, 2006 et 2008, reçu le trophée « Best supplier » de l’avionneur sans réaliser le moindre chiffre d’affaires avec eux », assure Pierre Gattaz, le PDG de ce fabricant de connecteurs électriques et électroniques. Pourtant, le français avait bien réussi, en 1997, à se faire référencer. Il avait même développé des produits pour les nouveaux programmes de l’américain. Las, aucun n’a jamais vraiment décollé… Jusqu’au 787, le long-courrier tout composite qui a fait ses premiers tours de piste cette année. Sur ce programme, le français fournit les trois quarts des connecteurs rectangulaires de l’avion depuis 2009. Entre-temps, avec beaucoup d’abnégation, l’industriel a transformé son usine de Château-Renault (Indre-et-Loire) afin de répondre aux normes industrielles de Boeing. Le jeu en valait la chandelle. Le contrat de 40 millions de dollars porte sur 4 500 couples par avion, soit un budget de 400 000 dollars par appareil. Un montant qui représentera 25% du chiffre d’affaires de Radiall dans les années à venir.

 

Accepter le droit d’ingérence du client

Le premier appel d’offres de Boeing gagné par Radiall, face à une trentaine de connecticiens, a marqué pour le français le début de son aventure dans le lean manufacturing. En 2000, pour aider son nouveau fournisseur à livrer dans les délais, l’américain lui a envoyé gratuitement ses experts maison. « Ils sont venus une première fois pendant deux jours afin de réaliser un audit, puis sont revenus durant trois semaines pour lancer le mouvement lean, raconte Dominique Buttin, l’actuel président de Radiall Etats-Unis. L’objectif fixé était de tout réduire de 30%. » Pour le mettre en œuvre sur le long terme, Radiall a fait appel à des consultants spécialisés pour former les troupes et enclencher le projet.

 

Remettre à plat ses ateliers

Pour répondre aux exigences de Boeing, l’industriel a cherché à comprendre ce qui se passait dans ses ateliers. Et a réalisé des « Value Stream mapping » (VSM) pour cartographier sa chaîne de valeur et optimiser ses flux d’usinage. Cette méthode lui a permis d’identifier les activités sans valeur ajoutée (les muda) dans son processus de fabrication et de transformation. Résultat, les produits parcourent désormais de 10 à 30% de distance en moins. Les stocks ont été supprimés au profit d’un système kanban en flux tirés. Ce sont désormais de simples bacs de pièces référencés par des étiquettes qui déclenchent les livraisons. « Nous avons ainsi réduit de 35% les encours », précise Patrick Le Normand, le directeur industriel du site. Radiall s’est aussi attaché à standardiser ses procédés de fabrication et à développer la maintenance préventive. « Au total, entre 2002 et 2010, nous avons réduit la durée du process de moulage de 23 à 4 jours, celui d’usinage de 14 à 2 jours et l’assemblage final de 10 à 3 jours », souligne Patrick Le Normand.

 

Transformer les opérateurs en « patrons »

Pour séduire Boeing, Radiall a développé l’autonomie et a responsabilisé ses salariés, en constituant des îlots de production pilotés par un animateur référent. Tous les jours, à 10 heures 10, ce dernier réunit son équipe durant dix minutes afin d’évoquer les améliorations à apporter et suivre celles en cours, toutes inscrites sur un cahier par les opérateurs eux-mêmes. Et pour les motiver, les objectifs et les rémunérations liées sont communs à chaque équipe. Durant trois ans, le directeur du site leur a même alloué une délégation de budget de 12 000 euros pour investir à leur gré dans leurs outils de travail, avant que la crise de 2009 ne passe par là. Il faut pour autant toujours trouver de nouvelles idées pour maintenir la motivation des équipes, d’autant que les gains apparents du lean ont tendance à se réduire. Radiall mise donc sur la formation continue. « Les animateurs viennent par exemple d’être formés à la chasse au gaspi (muda) », remarque Bernard Garnier, le DRH. Enfin, pour faciliter la communication avec les hommes de Boeing, deux professeurs d’anglais interviennent en permanence sur le site pour apprendre cette langue aux salariés.

 

Implanter un site lean au Mexique

Conçus en France, en codéveloppement avec les équipes de Boeing, les connecteurs de 787 mettent en œuvre des processus uniques, développés par Radiall, comme le moulage de pièces composites et la métallisation de plastique. Pour produire au meilleur coût et facturer en dollars, Radiall a choisi de s’implanter au Mexique. Il a d’abord cherché un site au nord du pays, « mais la zone étant très prisée des industriels américains, le turn-over était trop important », explique Dominique Buttin. Radiall a donc décidé de construire un site de 12 000 m2 à Obregon, plus au sud. Les salariés y sont plus fidèles et plus faciles à former au lean. Des efforts payants. Car pour tirer les prix, Boeing a bien tenté de revoir le contrat du 787, jusqu’à envisager une nouvelle mise en concurrence. Mais il a fait machine arrière, « pour ne pas casser notre partenariat et les efforts conjoints réalisés en matière de développement », sourit Pierre Gattaz. Ce dernier compte déployer le lean à tous les niveaux de l’entreprise. Dans les huit autres usines, dans ses bureaux… et chez ses fournisseurs. Comme Boeing en somme.

 

Liens externes :

 

Source :
L’Usine Nouvelle – n°3221 – 13 janvier 2011

Par Aurélie BARBAUX